Quel rôle pour la gauche dans l’élaboration d’une Nouvelle Détente en Europe

Walter Baier exhorte à une nouvelle architecture équilibrée de sécurité en Europe qui soit adossée à des traités internationaux de contrôle et réduction des armements et à la reconstruction de liens économiques et culturels.

Un regard rétrospectif sur les décennies passées laisse voir un monde dont la guerre, pas un seul jour, n’a été absente, ici ou là sur la planète. Jamais néanmoins encore, depuis la fin de la guerre froide, nous n’avons été aussi près d’un affrontement direct armé entre les deux premières puissances nucléaires, la Fédération de Russie et les États-Unis. Ce à quoi nous assistons actuellement est l’anéantissement de tout le capital politique accumulé depuis la chute du mur de Berlin.

Il y avait eu des signes avant-coureurs inquiétants cependant, tels la mise en suspens par les États-Unis et la Russie, sur fond d’accusations réciproques, du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, ou encore l’expansion de l’OTAN, ou le refus par une majorité des pays membres de l’UE de ratifier le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, etc. Peut-être n’avons-nous pas suffisamment prêté attention à tous ces signes.

Pourtant, même dans ce contexte, la possibilité d’une dynamique politique nouvelle s’offre à nous. Le secrétaire général des Nations unies faisait ainsi récemment remarquer qu’il se dégage en particulier un consensus pour promouvoir la reconstruction écologique ou encore les luttes en faveur de la justice sociale, contre la précarisation et pour l’égalité entre les sexes, autant de thèmes marginalisés aujourd’hui par la guerre.

Que peut, ou que doit, faire la gauche ?

transform! europe considère qu’il est important de s’entendre spécifiquement sur trois idées stratégiques :

  1. L’effort de paix doit encore plus clairement occuper la place centrale. Cependant, quand bien même les armes se tairaient — ce qui est notre espoir à toutes et tous, et ce pour quoi nous nous battons — ce serait là au mieux une trêve débouchant sur un gel du conflit, tandis que se maintiendraient les contradictions fondamentales pesant sur les structures de sécurité européennes et mondiales. Formulé autrement : quelle que soit la solution politique provisoire apportée au conflit russo-ukrainien, une paix durable doit s’inscrire nécessairement dans une nouvelle architecture de sécurité qui soit européenne, voire mondiale. Cela passe donc par une nouvelle vision à la fois de l’Europe et du rôle que joue le pilier européen dans l’OTAN.
  2. Si ce constat prévaut, alors nous avons besoin d’un débat en profondeur entre nos partis politiques et avec les autres forces politiques et les mouvements qui nous sont proches. Ce débat devra porter sur toute une série de problèmes politiques nouveaux et ardus.
    Par exemple, une fois la guerre terminée, le peuple ukrainien continuera d’exister, la Russie continuera d’être une puissance européenne de premier plan — l’Europe devra gérer ce fait. Voulons-nous une Union européenne sans cesse au bord de basculer dans la guerre ? Si notre réponse est non, à quoi doit ressembler un système de sécurité en Europe autonome et résilient face aux crises, sur fond de perte totale de confiance entre les forces concernées ?
    Nous ne sommes plus en 1973, lorsque 35 chefs d’État se rencontraient à Helsinki — nous sommes plutôt en 1968, date de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les tanks du pacte de Varsovie. Dans la perspective actuelle, créer un nouvel ordre de sécurité européen équilibré paraît difficile. D’un autre côté, seulement cinq années ont séparé l’invasion de Prague de la conférence d’Helsinki.
    Il semblerait que la Commission européenne et les gouvernements de l’UE aient complètement perdu de vue l’idée d’une sécurité européenne à long terme dès l’instant où ils ont adhéré à la stratégie confrontationnelle de Joe Biden. Dès lors, il incombe à la gauche d’élaborer une stratégie réaliste en vue d’une nouvelle détente européenne, comme une réédition de la politique des années 70 à l’Est, en s’appuyant sur des traités internationaux pour le contrôle et la réduction des armements, le rétablissement de la confiance et la reconstruction des liens économiques et culturels. Un outil clé au service de cette ambition est le combat pour des zones exemptes d’armes nucléaires avec extension de ces zones à tout le continent, de l’Atlantique à l’Oural.
    Quelque opinion que nous ayons concernant qui, ou quoi, porte la responsabilité de la situation présente, nous nous retrouvons dans un état de guerre économique planétaire, marqué par la fragmentation de l’économie mondiale, le démantèlement des chaînes de valeur et l’interruption de l’approvisionnement en nourriture et en énergie. Et cela entraîne des conséquences très graves sur l’économie mondiale comme pour les sociétés européennes. Il nous faut nous préparer à défendre les droits sociaux des nôtres dans ce contexte extrême. Mais le plus effrayant, par-dessus tout, c’est que les ruptures dans les liens de dépendance existants déblaient le terrain pour la guerre, laquelle serait impensable dans des conditions d’interrelations économiques et culturelles comme celles qui s’étaient installées ces dernières décennies. Modeler les étapes vers une nouvelle détente ne pourra se faire du jour au lendemain, et cela passera nécessairement par des travaux de recherche et par du débat. 
  3. Nous devons accorder davantage d’importance au fait que la gauche radicale et des partis progressistes font partie de coalitions gouvernementales dans plusieurs pays. En plus d’ouvrir de nouvelles opportunités, cela implique une responsabilité dont nous devons explicitement débattre lors du Forum européen des forces de gauche, vertes et progressistes prévu du 21 au 23 octobre 2022 à Athènes.
  4. Il nous faut creuser la dialectique entre les mouvements sociaux et nos partis politiques, ce qui est d’ailleurs l’une des missions de transform! europe. Les mouvements sont parfois plus à même de porter des demandes radicales. Nous devrions leur accorder un espace où ils puissent s’exprimer en toute autonomie, et aussi les écouter.

D’un autre côté, en tant que partis, notre travail consiste à adopter les stratégies nécessaires pour modifier l’équilibre politique des forces et aboutir à des transformations. Cette absolue mission nous incombe. Par conséquent, ce sont trois dialogues qu’il nous faut mettre en œuvre : le premier entre les mouvements, auxquels nous devons fournir un espace approprié ; un autre entre les partis progressistes et de la gauche radicale ; le troisième entre les partis et les mouvements. Une telle mise en œuvre ne sera pas aisée.

Mais cette mise à l’épreuve est un enjeu politique auquel nous ne pouvons nous soustraire.